22.7.08

Éloge de la vieillesse.

Il est une heure vingt-trois. Une heure vingt-quatre, presque vingt-cinq, maintenant. Tu as bu un dernier café, après un repas bien arrosé, il devait être neuf heures. Et là, devant ta télévision et ses infopublicités qui envahissent les ondes la nuit, en ce moment, tu le regrettes amèrement cet allongé. Ironiquement, tout ce que tu souhaites, c’est justement de t’allonger. De dormir, enfin.

De sa voix tout sauf synchronisée avec le mouvement de ses lèvres, un homme tente de te vendre deux pilules qui, en moins de cinquante-quatre jours, pourraient te faire perdre deux cents neuf livres. C’est déjà arrivé à une femme du Wisconsin et elle est là pour le prouver. Regardez, dit l’animateur, avant, elle était grosse, moche, avait peu confiance en elle, tandis que maintenant – et la caméra pointe en direction d’une foule de six personnes soudainement enthousiaste – elle est belle et bien dans sa peau. Tout ça pourrait être à vous pour cinq paiements faciles de quarante-sept quatre-vingt dix-huit. La voix se tait, les lèvres non.

Krsh.

Un parfum de cèdres mongoliens. Il ne suffit que de s’en vaporiser le pied gauche, le deuxième lundi de chaque mois, à condition que ce soit la pleine lune d’ici quatre jours et hop, c’est garanti, plus jamais vous ne perdrez vos cheveux, ils vont même repousser en moins de sept semaines. Une voix hors-champ : avant, je n’avais pas de cheveux, mais maintenant – et c’est là que l’homme bedonnant auquel appartient cette voix apparaît – j’ai beaucoup de cheveux. Pas croyable, il n’avait pas de cheveux et maintenant il en a, que tu te dis en t’esclaffant. Toi aussi, il y a trente ans, tu en avais des cheveux.

Krsh.

Le trois, suivi du neuf. Ensuite le sept, le …
Krsh
Vénus est en vierge, ce qui …
Krsh
Ça ne peut pas être Shirley qui a fait ça…
Krsh
Si on allait tous canaliser nos énergies…
Kkkkkkkkkkrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrshhhhhhhhhhhshshshsshhsshshshssh

Rapidement, comme un poulet d’une chaîne de restaurants américaine dont je tairai le nom, tu es gavé. Toutes ces informations peu pertinentes et cette avalanche de nombre finissent par te griser. Tu te dis qu’on essaie vraiment de faire gober n’importe quelle connerie à n’importe quel con qui se trouve devant la télévision à cette heure, mais avoue-le, ton surplus de poids, ta calvitie, ça t’inquiète vraiment. Chaque jour, tu prends conscience du temps qui passe, surtout depuis ton anniversaire de quarante ans, comme si, à partir de ce moment, tu ne comptais plus les années qui s’accumulent, mais celles qui te séparent de la mort. La nuit, quand tu ne trouves pas le sommeil et que tu te laisses absorber par l’écran à tubes cathodiques, tu te sens vieillir encore plus. C’est alors que tu mets à dresser une liste de choses qui te font prendre conscience que tu n’es plus jeune. Du tout.


• Tu réalises que t’es vieux quand tu considères la marche et les quilles comme des sports. Manger du blé d’inde, aussi.

• Tu réalises que t’es vieux quand tu passes plus de temps dans tes pantoufles que dans tes souliers ou tes claques.

• Tu réalises que t’es vieux quand tu trembles tellement que tu en échappes tout. Ton dentier et tes cheveux, entre autres.

• Tu réalises que t’es vieux quand tu dois t’asseoir pour attacher tes souliers (t’es vieux ou bien juste trop saoul, mais ça, c’est une autre histoire).

• Tu réalises que t’es vieux quand tu effectues tes transactions bancaires directement au comptoir et que tu t’adresses à une personne (avec une vraie peau qui n’est pas de métal; une vraie voix et toutes ses différentes intonations; une vraie mauvaise haleine et une vraie odeur de parfum désagréable).

• Tu réalises que t’es vieux quand tu fais un tour de machine pour te rendre à la commission des liqueurs.

• Tu réalises que t’es vieux quand tes cheveux deviennent mauves (t’es vieux ou bien juste un jeune punk, mais encore là, c’est une autre histoire, là même que plus haut).

• Tu réalises que t’es vieux quand tu vas plus souvent au salon mortuaire qu’au restaurant.

• Tu réalises que t’es vieux quand tu manges tes céréales avec de l’eau chaude, que tu bois de l’eau chaude avant de te coucher et, de temps en temps, brin de folie, tu y laisses fondre une peppermint, que tu appelles « paparmane ».

• Tu réalises que t’es vieux quand tu reçois et envoies des lettres par la poste.

• Tu réalises que t’es vieux quand tu surveilles vingt fois par jour si tu as reçu du courrier.

• Tu réalises que t’es vieux quand tu n’as rien d’autre à faire que de te rendre à la banque aujourd’hui pour mettre à jour ton livret.

• Tu réalises que t’es vieux quand l’avenir de ta station de télévision préférée, qui menace de ne plus tenir de bulletin de nouvelles, te tient à cœur.

• Tu réalises que t’es vieux quand tu surveilles les promotions sur les couches et que ce n’est pas pour le dire à ta fille qui vient d’accoucher.

• Tu réalises que t’es vieux quand tu composes un numéro de téléphone tellement lentement que l’opératrice te demande de le composer à nouveau.

• Tu réalises que t’es vieux quand on retrouve chez toi toutes sortes de petits bouts de papier, sur lesquels on peut lire le mode d’emploi de la télévision et du vidéo.

• Tu réalises que t’es vieux quand avant d’aller te coucher tu lis la rubrique nécrologique à voix haute, c’est-à-dire en marmonnant.

• Tu réalises que t’es vieux quand avant d’aller te coucher tu as soudainement peur de la mort, tu te demandes d’où ça peut bien venir.

• Tu réalises que t’es vieux quand tu réponds à l’opératrice qui te demande de recomposer le numéro de téléphone parce que tu es trop lent.

• Tu réalises que t’es vieux quand tu ne sors plus de chez toi après la tombée de la nuit. C’est vrai que, dans ton temps, les histoires de loups-garous étaient chose courante.

• Tu réalises que t’es vieux quand ton petit fils t’explique pour la huitième fois comment enregistrer un programme avec ton vidéo.

• Tu réalises que t’es vieux quand tu prends des photos du pape quand tu le vois à la télévision.

• Tu réalises que t’es vieux quand tu remontes légèrement ton pantalon au niveau des cuisses, avant de plier légèrement les genoux pour te pencher légèrement.

• Tu réalises que t’es vieux quand, toujours devant la télévision, tu te dépêches de prendre en note une recette ou les numéros de la loterie.

• Tu réalises que t’es vieux quand les boutons de ta télécommande sont devenus trop petits. Si seulement tu pouvais mettre tes lunettes, mais tu ne les trouves pas.

• Tu réalises que t’es vieux quand à cause de la technologie tout est rendu si petit. Comme les boutons de ta télécommande ou ta paire de lunettes.


Soudainement, tu t’arrêtes. Il est une heure quarante-huit du matin. Une heure quarante-neuf, presque cinquante, maintenant. Tu as bu un dernier café, après un repas bien arrosé, il devait être neuf heures. Et là, devant ta télévision et ses infopublicités qui envahissent les ondes la nuit, en ce moment, tu le regrettes amèrement cet allongé. Ironiquement, tout ce que tu souhaites, c’est justement de t’allonger. De dormir, enfin. Ça fait environ une demi-heure que tu recenses un paquet de trucs, comme ça, pour tuer le temps en attendant de t’endormir. Ta femme ronfle dans votre lit depuis un bon bout déjà.

• Tu réalises que t’es vieux parce qu’à chaque fois que tu bois un café vers neuf heures et que tu souffres ensuite d’insomnie, tu passes plus de temps à caresser les boutons de ta télécommande que ta propre femme qui n’attend que ça depuis des années.

Tu décides alors d’éteindre et d’aller la rejoindre. Cette nuit, tu lui feras l’amour comme jamais auparavant. En te levant, ton dos reste barré. Tu réalises alors que t’es vieux. Tu te rassois, rallumes la télé, le temps que le mal passe, et tu t’endors.

10.7.08

Quand le "vert" me fait voir rouge.

Pus capable du mot "vert" utilisé à outrance. Pus capable de voir des publicités de produits pour nettoyer le bain, le char, les cheveux et les dents (c'est un tout-en-un) qui s'affichent comme des produits bons pour l'environnement. Comment peux-tu à la fois enlever des cernes; rendre les flancs blancs; ne pas abîmer le cuir chevelu tout en renforçant les pointes et avoir des palettes plus étincelantes qu'un t-shirt ? Bien entendu, ce produit n'a aucun effet néfaste sur quoi que ce soit, sauf peut-être la saleté et l'émail.

Pus capable de voir les gens se vanter d'être écolo, parce que c'est tendance. Pus capable.

En fait, je me rendais au travail tout à l'heure. De voir tous ces gens sur la Plaza durant la fameuse vente trottoir m'a donné la nausée. Je n'ai pas pu vomir, c'est tellement pas écolo. Des centaines de personnes, dont plusieurs, j'en suis certains, qui se disent ouvertement responsables et préoccupés par le sort de notre plus belle planète au monde. Ces mêmes gens qui, parce qu'ils voient un étiquette rouge, deviennent complètement cons. Consommons, consommons, mais utilisons des sacs réutilisables et surtout, ne pas acheter de bouteilles d'eau, c'est pas écolo, mais garochons nous dans des magasins à une piassssssse pour acheter un paquet de trucs jetables, juste parce que c'est une piassssse. Nulle part il n'est écrit que ce n'est pas mauvais pour l'environnement, mais quand ce le sera, devenons responsables. J'ai pour mon dire que, tant que les médias n'en ont pas touché un mot, c'est que ça doit être correct.

Calvaire.

P.S. Je ne suis pas moins con, tout autant, mais j'essaie de réfléchir avant d'acheter. C'est un peu ainsi que je fais ma part.

P.P.S. Je ne vise personne ici, je crois que bien des gens font des efforts, mais de voir une marée humaine qui voit du rouge partout me donne envie de devenir daltonien.

2.7.08

Comme une solitude.

L’errant se frôle à la joue du temps, qui chaque jour le berce vers un pas de moins. Les vestiges d’une averse ruissellent sur son manteau et le vent se fracasse sur sa frêle carcasse. Il n’a nulle part où aller et ne vaque à rien, sauf si ce n’est à la dérive. Le soleil vient tout juste d’apparaître et les buildings commencent déjà l’asphyxie des quelques morceaux d’éther visibles. À cette heure, les trottoirs s’inondent de personnages anonymes qui ne font que passer et s’enfoncent entassés. L’errant ose timidement l’affront de la main, tendue devant lui, avant que, dans les autobus et les métros, d’un pas cadencé, s’inhument une marée humaine. Dans cette cohue quotidienne, dix mille visages, tournés vers lui, sur lesquels se dessinent et se dressent de muettes critiques.

Une pièce de monnaie se pose dans une paume.

L’adolescente leste traîne avec elle un violoncelle élimé. La mélancolie de ses jours se joue sur grand format et s’accorde en démesure. Aspirée par l’apathie des masses et des masques revêtus, elle se laisse porter comme un navire sur un fetch. Au loin, au-dessus de sa tête, l’instrument de ses vertiges demeure encore visible et se heurte à l’èbe du pavé.

Un archet d’écrin se lustre sur une corde et, à fleur de peau, en surface, se grave un sourire.

Le junkie. Sa souffrance se fixe au bout d’une aiguille et s’encre sur sa peau. Balafres de doléances, ses bras se balancent le long de son corps et il marche, malaisé, à travers la foule. Ses bottes battent le tempo d’une manœuvre militaire et ses sanglots s’engloutissent sur faîte de silence.

À travers l’alinéa des allées et venues, j’appuie sur le déclencheur.

Un déclic, imperceptible ou presque, fige, sur pellicule, le temps. Trois figures, trois routines qui, ainsi exposées, apparaissent soudain moins en aparté. Je me fais discret et m’éclipse comme un voleur qui viendrait de leur arracher un souffle. En m’éloignant, je réalise que le boîtier de mon appareil photo n’est plus étanche : une fissure, par laquelle la lumière pénètre, comme une fenêtre mal calfeutrée, viole les moments où les secondes s’effritent entre mes doigts. Le temps ne dure pas, il s’éternise. En passages éphémères.

1.7.08

Lendemain de veille (trois de... trois ?).


Voici donc, pour l'instant, ce qui met fin à cette bande dessinée.
C'était plus un exercice qu'autre chose, mais un exercice qui m'aura beaucoup plu.
Même si je suis nul en dessin, on peut arriver à ses fins par d'autre moyens...