2.6.08

À première vue.

J’étais là et j’attendais. Impatiemment. Quelques pièces de monnaie et de vieux journaux éparpillés, jonchaient le sol. Ma nouvelle paire de chaussures et mon complet, tous deux achetés à rabais, ainsi qu’une mallette en cuir, me donnaient un air sérieux. Affreusement. Sans parler de mes cheveux, séparés d’une raie aussi définie qu’une frontière entre deux pays en guerre. Je n’avais pas l’habitude d’être si bien habillé, mais lors d’une entrevue, la première impression est toujours très importante. Je jetai un rapide coup d’œil à ma montre, pour m’apercevoir que j’étais déjà en retard. Je devais donc m’armer de patience et attendre le prochain métro. Je sortis un livre, corné à la page cinquante-deux, là où je l’avais laissé la veille et m’étais endormi, finalement, à poings fermés après avoir soigneusement replié le coin de la page. Un livre pas particulièrement intéressant, mais je ne pouvais m’endormir sans avoir lu quelques lignes. Parfois, à court de bouquin, je ramenais une boîte de céréales, des circulaires, une bouteille de shampoing, d’aspirines, une bouteille d’alcool, et en lisais les étiquettes. Depuis mon enfance, c’était comme ça. Comme si le sommeil m’angoissait et que je n’arrivais pas à m’y abandonner complètement. Côté cœur, c’était la même chose. Ma femme m’avait quitté, il y a bien des années. Je ne l’attendais plus. L’avais trop fait. À n’en pas fermer l’œil de la nuit.

Nous étions une trentaine à attendre le métro. Une trentaine, en retard, qui n’osait se regarder droit dans les yeux. Une espèce d’entente entre citoyens de grande ville. Un homme s’approcha à ma droite. D’un pas lourd. Il me frôla l’épaule et se posta à quelques centimètres de moi. Je sentais son souffle. Et sa respiration rauque, un bourdonnement que j’aurais chassé de la main. Je m’éloignai de quelques pas. Un autre clochard, me suis-je dit. Un autre qui veut de l’argent pour se payer une bière ou s’acheter de la drogue. Un autre fuyard du quotidien, qui n’ose l’affront. L’homme me suivit. Il se tourna vers moi. C’était un noir dans un manteau rouge griffé, un homme qui n’avait rien d’un sans-abri. Il me fixa longuement de son sourire fluorescent où une dent en or scintillait comme un feu de Bengale à l’aurore. Je lui rendis la politesse, puis retournai à ma lecture. Que me voulait-il ? Je n’arrivais pas à me concentrer sur mon histoire, relisant chaque ligne trois fois. Il me tapa sur l’épaule en insistant. Je levai les yeux.

« Excusez-moi monsieur, me lança-t-il, je viens tout juste de mourir ».
Puis il hésita. Leva les yeux au ciel comme si la réponse s’y trouvait. Devais-je offrir mes sympathies ? Le serrer dans mes bras et lui dire que ça allait passer ? De l’empathie ? Un mot d’encouragement ou encore éclater de rire ? Je ne dis rien, baissai les yeux sur mon livre.

« Vous savez, monsieur, vous avez de la chance. Le métro de Montréal est vraiment la huitième merveille du monde.

- Effectivement. Surtout quand on n’est pas en retard. Surtout quand personne ne nous attend. »

Il se tourna alors vers la jeune femme à sa droite et lui tint le même discours. Son visage se couvrit de rouge et elle me questionna du regard. Je haussai les épaules. Le métro freina alors dans un cri strident, les portes s’ouvrirent. Je laissai sortir quelques personnes et entrai. Je pris place près de la fenêtre et me replongeai dans ma lecture. Au moment de partir, je regardai l’homme noir qui était toujours sur le quai. Il n’entra pas. Tandis que je m’en éloignais, je repensais à la phrase qu’il m’avait dite plus tôt. Pourquoi n’était-il pas monté alors ? Je ne le saurais jamais. Sûrement que personne ne l’attendait. Je rangeai mon livre et jetai un coup d’oeil aux gens dans le wagon. Un homme lisait un journal, une femme se mouchait, un adolescent écoutait de la musique, un enfant, à côté de moi, récitait fièrement l’alphabet à sa mère. À la lettre « m », il hésita. Je la lui murmurai doucement. Il se reprit et recommença. Jusqu’à la fin.

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